L’ironie du titre du dernier roman d’Eric Miles Williamson est féroce. Oakland connaît une destinée similaire à celle de Detroit. Ici, non seulement l’industrie automobile est sinistrée depuis de nombreuses années, mais aussi ses chantiers navals qui ont attirés pendant plusieurs décennies une énorme population d’ouvriers, Noirs venus des états du sud-ouest et migrants du Mexique qui connurent la prospérité jusqu’aux 70’s. Depuis quelques années, le centre-ville renaît, attirant une nouvelle population aisée, mais les quartiers populaires restent miséreux et soumis à une forte criminalité. Cette situation contraste avec la ville phare voisine qu’est San Francisco. Eric Miles Williamson a vécu plusieurs vies et son héros double T-Bird aussi. Son roman est noir, beaucoup plus qu’un polar et ce roman noir, même s’il parle d’un homme soupçonné de meurtre n’est pas un polar, mais une œuvre énorme. En le lisant, j’ai retrouvé les premiers John Fante, pour toute les similitudes dans la description de la misère et du désespoir mais surtout j’ai retrouvé une langue forte, épicée, crue comme un bon vieux Bukowski, le tout dans les années 2000 où l’ultra-libéralisme explose les sociétés, les cités, les villes et leur urbanité.
« j’ai capté très tôt qu’avoir un boulot pouvait être aussi génial que chiant. Le boulot, c’est génial, parce que tu te fais payer, voilà tout. (…). Par contre, je voyais très bien pourquoi bosser, ça faisait chier. Il y a toujours un type pour te dire ce qu’il faut faire, ou alors que t’as merdé, même quand tu t’es cassé le cul un max ; c’est toi qu’est nul, jamais le boulot, t’y couperas pas, et encore, t’as de la veine de pas te faire lourder »
Eric Miles Williamson rappelle l’appel des néons de la consommation…
« Au moins la nuit, les odeurs se dissipaient un peu.
Les mouettes piaillaient, grasses et joyeuses, les rats jouaient dans les flaques d’eau. De l’autre côté de la baie, San Francisco scintillait sous des lambeaux de brume et l’eau remuait lentement, comme du goudron, charriant à la dérive des poubelles et des volailles crevées, prisonnière d’une écume sale et verte, même si la nuit tout semble noir. »
…et affirme fortement ce qui fait l’identité d’un personnage et d’un auteur, ses racines :
« Là-bas dans le quartier, à Oakland, j’étais chez moi. Sur la 98ème avenue, tous les entrepôts, tous les magasins étaient tenus par quelqu’un que je connaissais depuis l’époque où, gamin, je faisais les pleins d’essence… (…) quoique je fasse, que je me pointe au boulot avec la gueule de bois, défoncé ou que mes conneries coûtent du blé au boss, les contremaîtres et les managers étaient mes compadres, mes compagnons de route… »
« Bienvenue à Oakland » nous parle de bars, de hell’s angels, de la confrérie des miséreux et suit les meilleures lignes de jazz, car T-Bird reste « le meilleur trompettiste de deuxième zone de toute la Californie du Nord ».
Pour ceux que je n’aurai su convaincre, je vous renvoie ici où un autre a su trouver les mots pour parler de « Bienvenue à Oakland » et de son auteur.
Eric Miles Williamson – Bienvenue à Oakland – Fayard 2009