Ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants… voilà le genre de niaiserie que l’on peut imaginer à la lecture de la dernière phrase de « Millenium 4 – Ce qui ne me tue pas ».
David Lagercrantz, commandité par les héritiers de Stieg Larson pour poursuivre la saga poule aux œufs d’or a écrit un bon bouquin, mais un polar beaucoup plus lisse que ceux de son prédécesseur… David Lagercrantz écrit un nouveau livre et non la suite de la saga. Il se sert des personnages pour créer une toute autre histoire que la critique de la démocratie suédoise, nous entraînant dans le vaste monde de l’information en continu et de la surveillance de chaque individu.
Reprenons par le début.
Un génial professeur, Frans Balder, spécialisé en neurosciences et en développement d’intelligence artificielle, quitte son poste fort bien rémunéré d’une société états-unienne pour revenir à Stockholm, s’occuper de son fils autiste qu’il a délaissé depuis longtemps. Ce dernier, August, est aux bons soins de sa mère, actrice célèbre quelque peu sur le déclin et de son compagnon, acteur raté, alcoolique et violent.
Aidé d’une hackeuse bien connue, Frans se rend compte qu’il travaille pour une association plutôt malveillante réunissant mafia et gouvernements… dès lors, il craint à la fois que ses recherches ne servent à créer un monstre malfaisant et pour sa vie, ses programmes développés devenant une source d’enjeux monumentale. Sur ce dernier point, il n’a pas tort, car il est très vite assassiné.
À partir de là, la formidable association Lisbeth Salander – Mikaël Blömkvist va démontrer que nous vivons dans un monde où chacun est épié, où les alliances les pires existent entre gens de pouvoir, où la pseudo liberté de la presse est le paravent d’une pseudo démocratie.
Sur le fond et malgré quelques entorses à leurs vies antérieures, on retrouve avec plaisir les deux principaux personnages, un peu vieillis (surtout super Mickaël), beaucoup assagis (surtout Lisbeth) mais qui conservent chacun à leur manière leur posture d’indépendance et de justiciers. David Lagercrantz créé plusieurs pistes dont les fils vont tisser peu à peu un scénario (pour le futur blockbuster), dépeint très bien l’ensemble des protagonistes en leur donnant du caractère et des pouvoirs impressionnants, certains traits forcis nous amènent à penser que les personnages sont quasiment tous des super-héros… en particulier August, autiste savant et artiste, Super Mikaël mou du genou mais omniscient et Lisbeth superconnectée. Une histoire sur fond d’espionnage et de privation des libertés individuelles où les mots Big brother et paranoïa résonnent fréquemment.
Les poncifs comme les stars très people, les ingénieurs très ingénieux, les méchants très méchants et les gentils très gentils, les journalistes très curieux, les flics plus ou moins scrupuleux, les querelles de psychiatres, les guerres des services secrets (ouh la méchante NSA!)… sont bien assénés mais n’enlèvent rien au rythme de l’histoire qui se lit vite et (très) aisément.
On peut cependant rester dubitatif sur l’image très caricaturale que renvoie David Lagercrantz des femmes très fatales et manipulatrices et des hommes très costauds et émotifs… un zeste phallocrate dans un Millenium ne manque pas de piquant !
Revenons à la lisseur.
David Lagercrantz écrit plutôt bien**, sans doute mieux que Stieg Larsson ; sur le plan littéraire, le livre ne déçoit pas même s’il est très loin des musts du genre. Sur l’histoire de « Millenium 4 – Ce qui ne me tue pas », on sent que l’auteur a fait un énorme travail de recherche sur les programmes de cryptage informatique et l’univers des hackeurs, sur les neurosciences et les enjeux de l’intelligence artificielle, sur l’autisme, connaît bien le monde de la presse et l’actualité de ces dernières années concernant le scandale des grandes oreilles… En gros, tout se tient et cela concourt à la bonne tenue du roman mais sans rien auquel s’accrocher.
Il était une fois un pays scandinave, très lisse vu de l’extérieur, dont les aspérités émergèrent fortement dans les écrits de Sjöwall et Wahlöö, qui contèrent dans les années 1970 les aventures de l’enquêteur Martin Beck. Les dix romans de cette série ont tous conquis les amateurs de polar avec une critique de la société suédoise acerbe et réaliste, des romans très engagés. Quand la trilogie de Stieg Larrson est publiée en France, le ton beaucoup moins littéraire mais tout aussi réaliste et critique de la démocratie suédoise nous projettent trois décennies plus tard dans les affres d’une société encore peu enviable. Les aventures de Salander et Blömkvist dépeignent alors avec un même engagement les travers de la démocratie et sont séduisantes de par leur noirceur.
David Lagercrantz, tout en amenant les critères de la critique, n’entre jamais dedans, troussant un monde imparfait où même les structures les plus réactionnaires peuvent avoir du bon, un texte on ne peut plus « politiquement correct », loin de la ligne antérieure. Aucun personnage n’apparaît au-delà du « raisonnable » et autant de lisseur peut surprendre les amateurs de polar élevés au bon grain de Manchette ou Himes.
Il reste néanmoins que « Ce qui ne me tue pas » est un bouquin que l’on peut mettre en toutes les mains… des lectrices et lecteurs de 7 à 107 ans.
** En fait, je m’avance un peu car la prose de Lagercrantz a été traduite par une suédoise (pour que surtout, rien du roman ne fuite avant sa sortie), puis entièrement réécrite après traduction par une rédactrice française… On ne sait donc pas ce qui est dû à l’auteur premier !
David Lagercrantz – « Millenium 4 – Ce qui ne me tue pas » – Actes Sud 2015