Ça faisait longtemps que je ne m’étais pas autant fait plaisir en lisant un Poulpe, vous savez, le fameux Gabriel Lecouvreur, grand anar dégingandé, féru de petites annonces et de pieds-de-porc de la Sainte Scolasse ! Excepté « Blood sample » de Karim Madani, je n’avais pas croisé un octopode sortant du lot depuis pas mal d’années et pis voilà, Dominique Chappey, dont « J’avais la croix » est le premier ouvrage mais qui a déjà pondu quelques beautés sous forme de nouvelles, nous entraîne avec le Poulpe en Chartreuse, sur une sombre histoire de croix disparues et de rigolo assassiné. Une belle ambition que de percher un mollusque marin en haut des cimes, ou un parisien sur des chemins de randonnées. Le Poulpe, muni d’une paire de rangers et d’une petite japonaise va découvrir successivement que la montagne monte, que les lacets tournent, que les montagnards sont des taiseux, que les plats de diots et crozets distendent l’estomac, que les coups continuent de l’attendrir comme les petits seins locaux… 200 pages d’une intrigue bien menée avec une langue bien troussée, des scènes cocasses à pleurer de rire comme la première marche du Poulpe sur les pentes alpestres « …il était ridicule de feindre d’apprécier les efforts d’un corps sensés aiguiser l’esprit. Il traînait un corps récalcitrant dans un esprit rebelle depuis trop longtemps pour prendre plaisir à ce genre d’exercice. » Après avoir croisé nombre de croix, d’hommes en robe, la société avinée de Saint-Pierre d’Entremont et les derniers rebelles des alpages, Le Poulpe aura la fierté d’avoir participé à l’issue de l’intrigue… à son corps défendant.
Dominique Chappey – J’avais la croix – Baleine 2014