« Pas vrai que dans la vie d’un homme, il y a cinq minutes noires ? » : Cette question lance « Les minutes noires » de Martín Solares, écrit en 2006 et découvert ici en 2009. Martín Solares dénonce avec force l’institution de la corruption au Mexique, au travers de ce roman, en narrant deux enquêtes policières qui s’entrecroisent à vingt-cinq ans d’intervalle. Il assène avec finesse et puissance des coups aux différents services de la police mexicaine, aux hommes politiques, à la mafia, aux journalistes, mais sans succès, ses héros ne recueillant comme satisfaction que la preuve de leur vérité, ne pouvant en aucun moment mettre à mal le système mafieux dans lequel s’épanouit le Mexique. Il s’attaque frontalement au PRI (de nouveau au pouvoir après une courte parenthèse… pire que le reste), mais surtout aux cadres de la société des villes mexicaines, ses notables, ses nouveaux riches issus de l’exploitation pétrolière, ses anciens riches issus du capitalisme américain, Martín Solares envoie uppercut après uppercut et nous laisse pantois devant tant de cynisme et de pourriture. Son histoire se passe dans une ville imaginaire (Tuxpan ?) à quelques kilomètres de Tampico, plus que connue, parcourue et maîtrisée par Martín Solares, une ville mexicaine, au final, peu importe laquelle tant les affaires contées semblent une caricature de nos présupposés. On retrouve avec encore plus de lyrisme l’ambiance de tous les romans mexicains, ceux de Paco Ignacio Taibo II, ceux de Gabriel Trujillo Muñoz, ceux de Rolo Diez comme “Les 2001 nuits”, ceux de Bernado Fernandez… qui tous dénoncent la gangrène du système mexicain avec leurs livres mais aussi lors de leur présence dans les festivals comme Les Quais du Polar 2011.
L’enquête démarre suite au meurtre d’un journaliste… qui tentait d’éclaircir une affaire de serial killer datant des années 70’s, le tout dans l’environnement d’un commissariat dans le personnel a connu directement ou indirectement cette première affaire. S’ensuit une description minutieuse des tenants et des aboutissants de ces deux affaires, sur les pas de deux inspecteurs intègres, aux marges du système, qui chacun vont dénouer les fils de l’histoire, découvrir une réalité contraire aux intérêts de la collectivité. Vous l’aurez compris, celui qui enquête sur le meurtre du journaliste va retrouver la trace de celui qui enquêtait des décennies plus tôt sur le meurtre de quatre petites filles, relier les deux histoires en observant les parcours de ses propres collègues… le tout aidé par l’imaginaire latino-américain qui permet aux morts d’aider à sortir de l’écheveau, aux figures mythiques du jazz et du cinéma des années 50’s et 60’s d’ajouter quelques indices. « Les minutes noires » est non seulement un excellent polar, mais aussi un magnifique livre qui nous réveille quelques papilles enfouies dans le cerveau, on retrouve une verve digne d’un Gabriel Garcia Marquez, une atmosphère digne des meilleurs Hitchcock qui apparaît d’ailleurs dans le roman, tout comme Travolta, Fidel Castro, Che Guevarra, les Beatles, Pink Floyd, Stan Getz, Franck Sinatra, B.Traven, John Huston, Humphrey Bogart, Peter Lorre, L’archipel du goulag, « L’exorciste », Bruce Lee, Moebius et Kill Tête de chien… Le foisonnement des idées est à la hauteur des acteurs, le tout se tient dans une trame très serrée qui aboutit juste après les cinq minutes noires dans la spirale de la délivrance.
Martín Solares est pour moi un grand auteur, à l’égal d’un Dennis Lehane ou d’un Jean-Patrick Manchette et pour tenter de vous en convaincre, voici quelques phrases ou axiomes tirés de son œuvre, qui toutes touchent par leur saillie affûtée.
« Il y avait un couple de mouettes tout près de la voiture et le Grizzli se demande s’il n’était pas sur le point de se faire larguer. En guise de réponse, la plus velléitaire des deux mouettes s’envola (…). Ne jamais pratiquer la divination avec les mouettes »
« Chaque fois qu’il voyait un Soda Cola, il pensait à la guerre du Viet-Nam, aux tensions au Moyen-Orient, à la guerre froide, à la chute de Salvador Allende au Chili. »
« Ce qui ne rompt pas, on le corrompt. »
« Si tu veux savoir ce qui s’est passé, tais-toi. Et écoute ce que je vais te raconter. »
Martín Solares – Les minutes noires – Christian Bourgois 2009