Avec « Femmes sur la plage », Tove Alsterdal nous emmène loin d’images idylliques que pourrait suggérer ce titre. Elle dessine certes des portraits de femmes, migrante, touriste, « cosmopolitaine », mais dénonce avant tout le trafic d’humains. Aux limites d’un journalisme engagé et du roman, elle dresse un portrait de notre société au travers du prisme de ce trafic, qui ne cesse de s’intensifier depuis des décennies. Tove Alsterdal montre avec beaucoup de talent et une excellente documentation que notre société est construite sur l’exploitation de l’homme par l’homme et qu’elle ne fonctionne aujourd’hui qu’avec l’apport d’une main d’œuvre corvéable, humiliée, oubliée… L’histoire démarre sur les plages de Tarifa, où s’échouent une migrante subsaharienne et un cadavre. La migrante est une rescapée d’une traversée sud-nord du détroit de Gibraltar, le cadavre, sans doute celui d’un migrant qui a eu moins de chance, est découvert par une touriste suédoise, jeune et naïve. L’action suit ensuite les traces d’une new-yorkaise à la recherche de son mari, journaliste free-lance enquêtant sur les réseaux d’êtres humains.
Ces traces vont mener Alena Sarkanova Cornwall essentiellement à Paris, dans les milieux d’affaires, dans les associations de défense des sans-papiers, sur la piste de faits divers – malheureusement bien réels -, entre restaurant étoilé, squat des quartiers Nord et des banlieues proches. La dénonciation des lobbys affairistes sur la politique pour maintenir la précarité de ces milliers d’êtres attirés par les lumières et la richesse de la ville est renforcée par une écriture proche du documentaire, très réaliste, très prenante. Tove Alsterdal entraîne son héroïne ensuite dans Lisbonne, entre Alfama et Baixa, puis retour à Tarifa avant une ultime étape à Prague.
Par petites touches, l’auteur évoque tous les trafics, toutes leurs ramifications et nous conduit aisément au cœur du sordide. La trame du livre montre les deux faces de la mondialisation, d’un côté, des hommes d’affaires, des entrepreneurs, des politiques, des exploiteurs ; de l’autre, des africains, des européens de l’Est qui cherchent à survivre et à faire vivre leurs familles, esclaves des premiers ; entre les deux, une enfant tchèque devenue metteuse en scène new-yorkaise, une avocate parisienne, une mystérieuse Nedjema ou une touriste suédoise qui maîtrisent les codes, découvrent ou luttent contre cette exploitation.
De très belles phrases, des idées fortes comme le fait de dresser un mur amplifie les volontés de le franchir, comme l’esclavage actuel est plus important qu’il n’était il y a des siècles… Une fin explosive qui marque aussi l’échec d’une enquête brillante et prouve que ceux qui tirent les ficelles ont tous les pouvoirs : un roman riche, brillant, mais aussi pessimiste parce que réaliste à dévorer… loin des plages.
Tove Alsterdal – Femmes sur la plage – Actes Sud 2012