Avec « Mapuche », Caryl Ferey me ramène entre Buenos Aires et Patagonie, mais bien loin de Butch Cassidy. Comme avec ses précédents romans dont l’excellent « Zulu« , Caryl Ferey décortique l’Histoire d’une ville, d’un pays, s’emplit de son atmosphère et y inscrit un conte. Si « Zulu » était un formidable amalgame entre la petite et la grande histoire, comme un roman symbiotique, « Mapuche » paraît comme une mayonnaise inachevée. Pas loin d’un « grand » polar, pas un roman raté, loin s’en faut, mais le combat mené par Jana et Rubén sur les traces de leur Histoire semble plus un placage qu’une greffe qui aurait réussie. Je m’explique : Caryl Ferey dénonce à travers « Mapuche » deux types de massacres, celui, colonialiste des européens face aux autochtones – ici les Mapuches – et celui de la junte militaire lors de la dictature (1976-1983). L’Histoire est très bien sourcée et on sent les heures de travail et de recherche, seulement voilà, on les sent… à tel point que la lecture de l’ouvrage est souvent une succession de « documentaire historique » et de trame romanesque. En clair, l’auteur aurait pu faire deux œuvres dont l’une se nourrirait de l’autre ou bien, prendre plus de temps, laisser décanter sa connaissances des faits et de la géographie, laisser mûrir son fil et ses personnages, laisser l’osmose se réaliser.
Revenons au livre dont le thème central est la recherche des enfants volés des « disparus » de la dictature militaire, personnifiée par Rubén Calderon, « subversif » du régime de Videla, frère et fils de victimes, aujourd’hui détective et sa mère, Folle de la place de Mai. On suit en parallèle l’enquête sur le crime d’un travelo porteño, dont la police, fidèle descendante des sbires de la junte, se contrefout éperdument, enquête menée donc par Jana, sculptrice mapuche et figure de tous ceux qui ont subi la crise des années 2000. Peu à peu, les fils vont s’entremêler, le complot continue, les témoins doivent être éliminés et la lutte des petits contre les gros va prendre son essor pour se terminer par un déluge de balles et de sang. Buenos Aires nous est décrite au gré des déplacements des personnages avec une observation fine et le recul d’une vision extérieure mais renseignée, comme les terres andines, le delta du Paranà, Colonia del Scramento, un vrai boulot de géographe ! Je n’en dirais pas plus sur les personnages, la géographie et le fil rouge de « Mapuche ».
Sur la mise en exergue du régime argentin, de la colonisation à aujourd’hui, le travail mené par Cayl Ferey est passionnant, il montre d’une part les atrocités commises successivement par les émigrants européens, d’abord sur les autochtones à qui ils disputaient et disputent encore les terres, puis sur leurs propres opposants qu’ils liquideront là aussi pour s’approprier quelques richesses, d’autre part les liens permanents qui existent entre l’extrême-droite européenne et les grands colons argentins (côté chilien, cela marche à l’identique, même si la Cordillère des Andes n’est pas aussi perméable que cela…), d’abord avec les fascistes de Mussolini, les nazis, puis les fidèles de l’O.A.S., toujours secondés par les forces du clergé catholique sans parler de quelques caciques de la C.I.A. Le combat des « petits », dépossédés et exploités continue contre les exploiteurs et « Mapuche » y participe.
Caryl Ferey prend le temps de dénouer tous ces liens et de nous les rendre intelligibles, de mieux nous faire connaître l’Histoire de l’Argentine. C’est un livre intéressant qui – mais ceci reste une opinion personnelle – aurait pu être un chef d’œuvre s’il avait eu le temps de macérer… Il me revient une dizaine de pages d’une force magnifique quoique intolérable comprenant le passage où Jana lit le « cahier interdit » de Rubén et si l’ensemble du roman avait pu assimilé l’imaginaire et le réel, il eut été… peut-être trop bien !
Caryl Ferey – Mapuche – Gallimard 2012