●●●●○ Un squale à Vienne (Wien)

« Les poissons nerveux » de Heinrich Steinfest, devenu « Requins d’eau douce », nous entraîne à mi-chemin entre pataphysique et logique philosophique, entre l’absurdité du quotidien et les réflexions de Wittgenstein que suit à la lettre l’inspecteur Lukastik. Le scénario de « Requins d’eau douce » est fantastique, un corps mutilé par un squale est retrouvé dans une piscine située en haut d’un des rares grands immeubles viennois… et voici pour les indices quelque peu ténus sur lequel plonge Richard Lukastik avec une absence totale de méthode d’investigation tout en suivant rigoureusement les pensées du Tractatus logico-philosophicus. Une traduction littérale du patronyme de l’inspecteur pourrait être Lucas Brode et effectivement, il ne cesse de broder des explications à ce crime inexplicable. Autant dire que l’intrigue nous promène beaucoup dans les turpitudes de l’esprit de l’inspecteur avec non-sens et impasse, mais cette absurdité permanente et dérangeante nous tient suffisamment en haleine pour poursuivre l’aventure et la finir dans les souterrains de la romantique et baroque capitale. Entre temps, Heinrich Steinfest nous aura entraîné au travers de Wien et de la campagne autrichienne et sa paralysie dominicale, pour y rencontrer quelques personnages tout autant torturés que le principal protagoniste : un spécialiste des squales aquarophobe, un médecin légiste totalement incompétent, un gérant de station service complètement apathique et sa femme, sosie de la Jasmin du Bagdad Café, une directrice de maison de repos philosophe et dominatrice… L’écriture est parfois un monument d’humour froid, maladif « Exactement comme s’il tentait quelque chose d’utopique ou de fantastique, traverser un mur temporel ou pénétrer dans un univers parallèle. Ou mourir, tout simplement. » La lecture de cet ouvrage peut nous inquiéter quant à la santé mentale de l’humanité mais nous rassure quant à l’existence du polar germanique ; même si, comme Veit Heinichen, Heinrich Steinfest est un exilé…

Heinrich Steinfest – Requins d’eau douce – Carnets nord 2011
en attendant de lire « le onzième pion » paru en janvier 2012

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