« Derrière la haine« , le dernier thriller de Barbara Abel nous parle de voisinage, de la confiance que l’on donne à l’autre parce qu’il nous ressemble… avant qu’un grain de sable – ici un drame – n’entame cette confiance qui devient méfiance, puis défiance. Nous sommes ici loin de l’urbanité, de la solidarité caractérisant les groupements d’humains, qu’il s’agisse de village ou de ville. Nous sommes dans les suburbs, le périurbain, le cauchemar des urbanistes, là où les citoyens deviennent des individus. Quel périurbain ? Peu importe, tous se ressemblent avec leur lot de maisons individuelles clonées les unes, les autres, souvent mitoyennes, car le foncier s’économise quand on est lotisseur, séparées d’une maigre haie, thuyas, troènes, fusains au choix.
Barbara Abel nous décrit les sentiments de deux familles, voisines, amies car identiques en apparence, qui deviennent rivales, voire ennemies au fil des pages. Mais au-delà de l’histoire singulière et dramatique narrée, c’est le détramage de l’urbanité que nous conte Barbara Abel, avec ce choix étrange où l’homme pour fuir le groupe s’éloigne des centres fonctionnels, pour une petite maison avec son jardin… au sein de lotissements où les problèmes jadis verticaux deviennent horizontaux, où le voisin du dessus ne fait aucun bruit au bénéfice de celui d’à côté.
C’est une société triste et noire, où l’humanité se dilue peu à peu dans les non-dits, quant rien ne peut enrayer la descente aux enfers. Barbara Abel décrit avec talent la force de la haine, de la revanche, de l’envie, sentiments beaucoup plus intenses que l’amour, l’amitié qui n’apparaissent ici que comme une couleur pastel. La bascule part d’un drame du quotidien où d’emblée, le voisin est perçu comme fautif, où l’ami est suspecté et parce que la solidarité est devenue caduque, ce drame va porter la trame de la longue déchéance de cette humanité pour finir dans une horreur parfaite.
Ce livre est touchant car il repose sur la normalité, sur la banalité. L’écriture est simple, les pages coulent facilement dans l’angoisse, et même si les premiers chapitres semblent un peu mous, ils instaurent l’ambiance de ce thriller qui va nous dévorer comme la jalousie. Le point fort du roman, outre sa description de notre monde banal où chacun pour prouver son autonomie s’évertue à ressembler à son voisin, est que la chute de cette histoire est totalement immorale : l’homme est un loup pour l’homme aurait écrit Plaute mais le loup est beaucoup plus solidaire (ou solitaire) que nous.
Merci à Barbara Abel de m’avoir fait découvrir « Derrière la haine ».
Barbara Abel – Derrière la haine – Fleuve Noir 2012
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